Junot Díaz – un roman grave et merveilleux

couverture Junot Diaz

Dans La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao, l’écrivain américain Junot Díaz nous plonge dans une grande fresque familiale entre le New Jersey et la République Dominicaine. Son héros Oscar est un geek intello, obèse et solitaire, qui se réfugie dans des mondes imaginaires pour éviter d’affronter la réalité. Un passionné de SF et de fantasy, qui a l’ambition d’être le nouveau Tolkien. Bref, un antihéros jusqu’au bout des ongles, dont la vie, en dépit de ce que le titre laisse entendre, n’est pas du tout merveilleuse. La faute au fukú, une malédiction qui, selon la légende, aurait été amenée dans le Nouveau Monde par les premiers esclaves. Comme tous les immigrés d’origine dominicaine, la famille Cabral croit dur comme au fer au fukú. Et Oscar plus que quiconque, ne serait-ce que parce que sa propre vie est un vaste champ de ruines.

C’est par la voix de Yunior, le narrateur, que l’on découvre l’histoire peu banale des Cabral. En remontant aux origines du fukú qui a frappé la famille, on suit Oscar de l’adolescence jusqu’à ses années de fac ; Lola, sa sœur, pendant sa période punk ; la mère Beli, la première à s’exiler aux Etats-Unis. Et enfin Abelard, l’ancêtre, celui par qui le fukú est arrivé, à cause d’une phrase malheureuse prononcée en présence de Trujillo, le dictateur qui a mis le pays à feu et à sang pendant trente ans.

Au delà de cette saga haute en couleur, c’est l’histoire de la dictature qui a marqué la République dominicaine au fer rouge que relate Díaz. En creux, il esquisse le destin des immigrés dominicains écartelés entre leur pays d’adoption et leur pays d’origine. Si les personnages sont effectivement bigarrés et attachants, la force de ce roman réside dans son écriture. Dans un style fluide, Diaz mêle habilement l’anglais et l’espagnol pour créer un langage – du spanglish quoi – qui n’appartient qu’à lui. Un patchwork jubilatoire entre les deux langues, agrémenté ici et là de mots d’argots. On se demande alors à quoi peut bien ressembler un roman de Diaz en VO, et on est du même coup sacrément admiratif du travail effectué par Laurence Viallet, la traductrice.

Un style réjouissant qui ne laisse aucune place au pathos, bien que la chronique du régime de Trujillo s’y prête fortement. Mais Junot Díaz n’est pas un écrivain qui se prend au sérieux. Il instaure une certaine distance avec un sujet qui, on le sait, lui tient pourtant à cœur (il est lui même d’origine dominicaine). Et aborde les questions les plus douloureuses avec humour et désinvolture. A very elegant writer, en somme.


Extrait :

« Comme Superman dans Batman : Le Retour, qui puise dans une jungle entière l’énergie photonique dont il a besoin pour survivre à l’explosion d’une tête nucléaire, notre Beli puisa dans sa colère la solution à sa propre survie. Autrement dit son coraje lui sauva la vie. »

Ce roman a obtenu le prix Pulitzer 2008.

A lire l’avis plus mitigé de Blue Grey

La brève et merveilleuse vie d’Oscar Wao 
de Junot Díaz
éditions Plon, 294 pages

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