Que deviendrait l’homme s’il était privé de l’un de ses sens ? A quoi ressemblerait le monde si nous étions tous aveugles ? Ce sont deux des nombreuses questions posées par José Saramago, prix Nobel de littérature, dans son roman L’aveuglement. Un livre que j’ai eu envie de lire après avoir vu Blindness, son adaptation au cinéma. A mi-chemin entre fantastique et science-fiction, le film du Brésilien Fernando Meirelles (La Cité de Dieu, The Constant Gardener) est scotchant, et son histoire tellement surprenante que je me suis demandée qui était assez fou pour échafauder un tel scénario. Qui d’autre, en effet, à part le Portugais José Saramago, à l’œuvre si atypique ?
La scène d’ouverture du livre est identique à celle du film : un conducteur à l’arrêt est pris de panique car il vient subitement de perdre la vue. L’homme qui le raccompagne chez lui devient également aveugle. Puis c’est au tour de l’ophtalmo qu’il va consulter et des patients dans la salle d’attente… Et ainsi de suite, jusqu’à ce que l’humanité toute entière perde la vue. Pour tenter d’enrayer cette épidémie de cécité – surnommée le « mal blanc », les malades « voyant » en permanence une lumière blanche éblouissante -, les premiers aveugles sont parqués en quarantaine dans un asile désaffecté. Parmi eux, seule une femme, qui n’a pas voulu abandonner son mari, voit encore…
Avec une telle entrée en matière, l’attention du lecteur est immédiatement captée. La sensation d’angoisse et de mystère est accentuée par les partis-pris de l’écrivain : pas de précision sur le lieu (une ville) ou l’époque (contemporaine)… Des protagonistes sans nom, simplement désignés en fonction de leur rôle dans l’intrigue – le premier aveugle, le médecin, la jeune fille aux lunettes teintées, la femme du médecin… Mais c’est d’abord le style de l’écrivain qui retient l’attention. Une écriture dense qui ne s’embarrasse pas des règles habituelles. Pas de paragraphe, des dialogues sans tirets ni guillemets et des phrases très longues (une demi page, voire plus) dans lesquelles les points sont remplacés par des virgules. Un style déroutant mais qui sied parfaitement à cette allégorie d’une noirceur extrême. Car le miroir que nous tend Saramago n’est pas très reluisant. Au royaume des aveugles, c’est la loi du plus fort qui règne. Du chaos initial, on bascule très vite dans l’horreur et la barbarie. Le roman est tour à tour angoissant, oppressant, répugnant et la dernière partie offre une vision de fin du monde cauchemardesque.
Un livre sujet à tellement d’interprétations que chacun pourra y voir exactement ce dont il a envie : un jugement sur la nature de l’homme, une critique de nos sociétés contemporaines, voire une œuvre anticapitaliste (Saramago est un communiste engagé). Et que représente cette femme épargnée par l’épidémie ? Au final, tous ces questionnements importent peu… Le lecteur est pris dans les mailles tissées par l’écrivain du début jusqu’à la fin. Même les imperfections dont souffre le livre (répétitions, considérations un tantinet grandiloquentes et style auquel il faut s’habituer) n’entament pas la qualité de cette œuvre terrifiante sur la nature humaine.
L’aveuglement
de José Saramago
éditions Points, 366 pages
Blindness (2008)
réalisé par Fernando Meirelles
avec Marc Ruffalo, Julianna Moore, Gael García Bernal
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