Dans Un roman russe, l’urgence d’Emmanuel Carrère à se raconter, et à exposer un pan méconnu de son histoire familiale est furieusement évidente. Un livre a priori à des années lumières de ce pourquoi l’écrivain est connu et reconnu, à savoir raconter la vie d’autrui. Pourtant, la forme reste hybride (à la fois récit, autobiographie et document) à l’instar, notamment, de L’Adversaire. Sur le fond l’écrivain, qui parle toujours de lui même quand il parle des autres, continue de se dévoiler, se livrant ici à une véritable mise à nu.
Dans ce récit largement autobiographique, Carrère divulgue un secret de famille, que sa mère Hélène Carrère d’Encausse, auteure de nombreux ouvrages sur la Russie, lui a expressément interdit de dévoiler, inquiète qu’il ne le fasse justement… dans un livre. Ce secret concerne son grand-père (d’origine géorgienne) qui a collaboré avec les Allemands pendant la deuxième guerre mondiale. Arrêté puis exécuté à la Libération, sa dépouille ne fut jamais retrouvée. Si ce drame familial prend soudain une résonance particulière dans la vie de l’écrivain, c’est qu’il fait écho à un documentaire qu’il est en train de tourner. En partant sur les traces d’un prisonnier politique à qui on a oublié de rendre la liberté, l’auteur se retrouve confronté à ses propres origines. Et à son incapacité à trouver le bonheur.
S’il y a un reproche qu’on ne fera pas à l’auteur, c’est celui de la complaisance. Son autoportrait est sans concession. Sa famille, ses amours avec Sophie et ses fantasmes un peu ridicules, Carrère raconte tout. Mais ce faisant, l’écrivain prend le risque d’être jugé pour qui il est, plutôt que pour ce qu’il écrit. Car un Roman russe dresse le portrait d’un homme arrogant, voire carrément méprisant envers ceux qui ne sont pas nés avec une cuillère d’argent dans la bouche. C’est peu de dire qu’Emmanuel Carrère énerve. Mais comment expliquer, alors, qu’on soit happé par ce texte qui s’avale d‘une seule traite ?
C’est tout le paradoxe d’un récit vif et enlevé qui tient le lecteur en haleine du début jusqu’à la fin – tout en lui insufflant un sentiment de malaise certain. Un livre dont on ne sait pas bien, au final, si on l’a adoré ou détesté. Et ça, c’est intéressant.
Autres lectrices : Tamara et Auguri.
Un roman russe
d’Emmanuel Carrère
Folio, 398 pages
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