Ian McEwan – lune de miel à Chesil

Sur la plage de Chesil de Ian McEwan

Juillet 1962. Florence et Edward viennent de se marier et passent leur nuit de noces dans un hôtel sur la plage de Chesil, dans le Dorset. Les deux amoureux se sont rencontrés un an plus tôt, au cours d’une réunion pour le désarmement nucléaire. Entre la passionnée de musique et l’étudiant en histoire, l’attirance a été immédiate. Après des mois de cour intensive, Edward a enfin osé demander à cette fille d’universitaires de l’épouser. Et elle a dit oui. Cette soirée marque donc le premier jour du reste de leur vie, et leur passage vers l’âge adulte, puisqu’ils vont pour la première fois passer la nuit ensemble. Et donc faire l’amour. Une perspective qui les rend terriblement nerveux et anxieux.

Florence et Edward, âgés respectivement de 21 et 22 ans, se considèrent comme de purs produits de leur époque : « Les années 60 représentaient la première décennie de leur vie d’adulte et elle leur appartenait forcément ». Pourtant, à l’aube de cette nouvelle décennie, ils portent encore en eux le poids des conventions et des inhibitions propres à l’avant-68. Evoquant en cela Jérôme et Sylvie, le couple au centre du roman de Georges Perec, Les Choses. Comme eux, ils n’ont pas grand-chose à voir avec la génération suivante, celle qui profitera de la révolution sexuelle et qui, en ce mois de juillet 62, se presse au premier concert des Rolling Stones à Londres. Alors même qu’ils entament un dîner de noces pesant de formalisme, ils rêvent de s’échapper de l’hôtel pour aller s’enivrer sur la plage. Mais ils ne le font pas : « Ils étaient donc enfin seuls, et libres, en théorie, de faire tout ce qu’ils voulaient, mais ils continuèrent de manger ce dîner pour lequel ils n’avaient aucun appétit ».

Sur la plage de Chesil est néanmoins bien plus que le portrait d’une époque. Ian McEwan nous plonge au cœur du vortex d’émotions qui submerge les deux personnages, alors que la fin du dîner – et le moment tant attendu par Edward – se rapproche. De son côté Florence est assaillie de doutes et cède à la panique face à la peur qui l’étreint. Avec une précision quasi chirurgicale, l’écrivain britannique dissèque ce qui se passe dans la tête des jeunes époux. Il fait durer le suspense avec des flashbacks, alternant entre le présent (le dîner) et le passé (leur enfance, leurs études, leur rencontre). Une étude introspective troublante qui met des mots sur des sentiments diffus, et qui montre comment une simple réaction d’orgueil peut faire basculer le cours d’une vie, sans même que l’on s’en rende compte : « Voilà comment on peut radicalement changer le cours d’une vie : en ne faisant rien ».

L’écriture de McEwan est précise, pleine de finesse et les nombreuses références à la nature – ici, le bruit du ressac, là, le chant d’un perroquet – amènent un peu de poésie dans ce superbe roman emprunt de tristesse et de nostalgie, comme le ciel brumeux d’un matin anglais…

D’autres avis sur ce livre : In cold blog et Amanda

Sur la plage de Chesil
de Ian McEwan
Folio, 178 pages.

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